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mardi 8 janvier 2013

L'arrivée de l'apothicaire (panthera uncia, suite)

"C'est la p'tite suite de l'histoire,
Qui n'a rien à voir
Ni avec vous ni avec moi."
 
Courriel du 10 septembre 2010, 12H32 (extrait)
Objet : arrivée de l'apothicaire


Tandis que l’once, rassasiée, s’est remise en boule pour dormir, veillant sur la peau et le venin du serpent, tout autour, l’étau se resserre, insensiblement.
Les gens en ont marre d’avoir peur.

Il faut régler le problème.
C’est à dire le supprimer, l’évacuer, l’exorciser. Le mettre dehors. Et vite.

C’est que ces gens ne savent, manifestement, pas faire grand’chose d’autre …

Des groupes se forment, et chuchotent : « nous ne voulons pas d’une terreur viking-shuar-Guillaume Tell et compagnie ». « Qui fait la loi ici ? C’est nous ! Et puis c’est tout. »

« Cet animal n’est l’animal de personne, il n’a rien à faire ici ! ».

Ce dernier argument, surtout, fait l’unanimité.

Si l’animal avait un maître, était inféodé à quelqu’un du sérail … à la rigueur, pourquoi pas.
Mais l’animal vient ici libre, de l’extérieur, et semble n’avoir de relations avec aucun des maîtres du séant.

Bref, l’animal est un étranger, à expulser.

Même si on n’a même pas vérifié.

Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux lors du "discours de Grenoble", le 30 juillet 2010

D’autant plus qu’il a fauté, ayant sauté, c’est bien connu, sur tous les humains qui ont tenté de l’approcher en ce lieu, avec férocité, toutes griffes dehors, et ces derniers n’ont du leur salut qu’à leurs réflexes, heureusement fort rapides.

Bon, on n’est pas pour la déchéance de nationalité, mais ici, on ne déchoit pas d’une nationalité, on montre la direction de la porte à cette bête qui se croit chez elle alors que personne ne l’a adoptée. Nuance fondamentale.

L’once, elle, attend toujours le retour de l’apothicaire …
On a cessé de lui dire d’aller voir plutôt tel/le ou tel/le pharmacien/ne, devant son obstination.

Et c’est dans cette relative paix, que l’once entend, un à un, les petits groupes monter l’escalier, et entrer dans la pièce.
De tous ses sens, elle perçoit très bien l’hostilité, mais fait mine de continuer à dormir.
Le temps d’examiner,
Qui a apporté quoi.

En effet,
Chaque groupe a apporté quelque objet.












Des objets pour chasser, mettre dehors, l’animal indésirable, l’intrus, le nuisible.
L’ennemi du collectif, l’asocial, le destructeur. J’ai nommé : le grand fauve sauvage, la panthère des neiges.

L’autre.

L’autre entend bien ce bruit étrange, associé à cette odeur bizarre, arriver sur lui, mais réagit un poil trop tard : c’était une bassine de boue, traîtreusement versée sur elle derrière son dos.

La voilà, debout, d’un coup, qui montre les crocs.

Mais trop tard : la boue dégouline de son pelage. Le groupe qui a eu l’idée s’est vite éclipsé, tout content d’avoir traîné ainsi l’Ennemi dans la boue …

D’autres sont là, et la panthère, par delà sa toilette gâchée, les observe maintenant de l’œil du fauve traqué. La peur est omniprésente, odeur envahissante. Etranges êtres que ces humains, qui lorsqu’ils ont peur, se tiennent ainsi chaud en formant troupeau.
L’once pense aux troupeaux d’animaux qui sont ses proies. Cela ressemble à ces comportements. Mais les proies, elles, ont de bonnes et valables raisons.

Le même comportement, donc, mais en plus vicieux, de la part de non-proies : certain/e/s ont amené des pierres, un autre groupe un fouet, tripant sur le mode « on va dompter le lion », enfin, les armes sont diverses.
Dans la bibliothèque, juste à côté, André Leroi-Gourhan récapitule les 4 tomes de son grand ouvrage sur l’Homme et l’outil …





Quand, au milieu de ce paysage d’outrage, une jeune étudiante aperçoit, entre les pattes de la bête, le trophée de chasse : la peau du serpent.

S’approchant, l’air affable, et n’ayant quant à elle, mesquine, point peur du fauve, elle lui dit : « gentil chaton, fais voir ce que tu as là ? Oh, comme c’est joli, je peux toucher ? C’est une peau n’est-ce pas ? ».
Mais alors que, joignant le geste à la parole, elle commence à tenter de subtiliser à l’once son trophée, le félin fait, instantanément, barrage de sa large stature, et, silencieusement, lui répond du regard, qu’elle a alors glacial et meurtrier : « tu ne touches pas. C’est ma proie. Tu n’as aucun mérite. Tu fais un centimètre de plus dans ma direction, et je te happe la main ».

D’un coup terrorisée, la jeunette recule d’un bond, et va chouiner et se plaindre auprès d’un des groupes, sur le thème : « j’ai été sauvagement agressée par le méchant fauve ».
Ben voyons.
Le vol de trophée : rien ne me sera décidément épargné … après avoir été traînée, ou plutôt noyée, dans la boue.

C’est alors que l’on entend des pas monter l’escalier.
L’once sent l’odeur, qu’elle reconnaît bien : c’est l’apothicaire, enfin.

Et elle pense : il va m’entendre, celui-là, deux mois au moins qu’il n’est pas venu ! Je n’aime pas attendre mon allié comme s’il était un seigneur, or, cela fait des jours et des jours, depuis mon retour, que je l’attends dans ce lieu qui pue.

Qui pue ?

Ah oui.
La panthère y a beaucoup cogité, à cette mauvaise odeur : elle croyait que cela sentait l’humain, mais non, c’était autre chose, puisque les humains lui assuraient, avec obstination, que cela sentait le fauve. Elle a compris petit à petit.
A quoi ressemblait donc cette odeur, présente ici et dehors dans le pays ?

Après moult recherche dans ses souvenirs olfactifs, elle a finalement retrouvé : la mauvaise odeur, c’est celle d’un produit ménager, célèbre. Un produit de nettoyage. Tout paraît en avoir été imbibé à l’excès, d’où l’horrible et infecte odeur. Mais pas moyen de retrouver le nom du produit …

Je me souviens juste qu’il rime avec panthère.

Pendant ce temps, l’apothicaire,
Finit de monter, pour déboucher,
Sur la grande salle centrale, où l’attendent tous ces gens, attroupés.

L’once l’accueille d’un « grrrrrrrrrrrr ! » bien senti,

Qui signifie, en gros, traduit en langage : « c’est à cette heure-ci que tu arrives ? Et tu n’as pas honte ? J’ai chassé pour toi la vipère de Sibérie, et c’est si tard que tu viens ? As-tu vu l’accueil que m’ont fait ici tes gens ? ».

Mais l’apothicaire, d’un air glacial, insensible, robotisé, répond en pointant son index vers la panthère, et se met à faire de grands gestes brusques, accompagnés de mots prononcés à un fort volume sonore. Comme c’est du langage, la panthère n’y entend rien, mais elle comprend, en revanche, très bien la gestuelle dont ce langage découle et dont il constitue comme un précipité : l’apothicaire vient de la désigner à la vindicte de tou/te/s, comme coupable de toutes les fautes.

L’air est glacé, mais pas de ce froid affectionné par le fauve. C’est un autre froid, dans lequel on entend le bruit des pierres et du fouet, et de tous les autres, qui attendaient un feu vert, se mettre en place.

Mais le fauve répond à l’accusation, hors langage puisque les animaux n’ont pas de langage : voici, en photo, sa réponse. Elle semble très claire.




L’humain au fouet aperçoit alors la peau de vipère, au pied de la panthère, et, lorgnant tour à tour son fouet et la redoutable bête, comprend qu’il n’est pas de taille : la vipère, n’est-ce pas comme un fouet, mais avec les crochets à venin en sus ?

Le fauve s’avère indomptable. Ce n’est pas un lion. C’est l’as de la chasse, nuance.

Et ton fouet
Il en f’rait
Qu’une bouchée.
C’est assuré.


Avant que les humains aux pierres n’esquissent quant à eux le moindre geste, voici ce que dit la panthère à l’apothicaire, traduit pour vous en langage :

« Comment ? Tu es en tort, et tu voudrais me faire porter ta faute ? Est-ce ainsi qu’on remercie
Le chat du logis ?

Ote ton doigt de devant moi
Ne me désigne pas comme une proie
Sans quoi
Je serai obligée de me défendre contre toi.

Ote ton doigt de devant moi
Ne me désigne pas comme une proie
Je suis le chat du logis
Et tu n’as aucun droit
De me chasser ainsi.

Je suis le chat du logis
Issu des désirs des un/e/s et des autres ici.
Laissez-moi vous narrer
Ma généalogie
Après mon pedigree

Sache, quant à toi, mon ex-allié,
Que je n’ai pas l’âme d’un bouc
Fut-il émissaire
Le bouc
Etant précisément ma proie
Tout comme les émissaires d’l’accusateur indigne. »

Mais le doigt continue de pointer, accusateur, et la panthère ne doit son immunité qu’à sa taille, et à la peur qu’elle inspire, c’est clair.
Si elle n’était qu’un petit chat, les pierres depuis longtemps l’auraient clouée à terre.

Et cependant que le doigt, l’index, l’accuse d’être responsable de tous les maux, coupable de toutes les fautes, l’animal observe les hésitations, peureuses, tout autour.
Ca les démange, hein, de balancer les pierres.
Mais ils/elles ont peur, hein, de balancer les pierres
Sur la panthère
Qui pourrait bien bondir, tous crocs dehors
Sur les jeteurs de pierres
Ainsi s’instaure un équilibre de la terreur, interminable, durant lequel l’apothicaire continue d’exhorter, par ses accusations, ses peureuses troupes.

L’once continue sa réplique :

« Ote ton doigt de devant moi
Ne me désigne pas comme une proie
Je suis le chat du logis
Et tu n’as aucun droit
De me chasser ainsi.

Ne m’oblige pas à mon tour
A te considérer comme proie.

Je suis le chat du logis
Issu des désirs des un/e/s et des autres ici.




Laissez-moi vous narrer
Ma généalogie
Après mon pedigree.
Vous manquez du respect
Le plus élémentaire
Du aux orisha du lieu.

Je fais partie d’entre eux.
Car je veille sur la neige,
Comme ma mère Jemanja
Veille sur l’eau

Et tout comme elle,
Je déclenche des tempêtes
Avalanches
Qui dévalent sur vous
Quand vous bafouez nos valeurs.
Quand vous salissez la neige.
La maculez de boue.



Vous manquez du respect
Le plus élémentaire
Du aux orisha du lieu.
Je fais partie d’entre eux.
Car je veille sur la neige,
Comme mon père Oxala,

Je suis ainsi
Le gardien de la paix
Dont on redoute les crocs
Tant et si bien
Qu’ils ne servent jamais.
Je suis le chat du logis
Vous ne pouvez me chasser.

J’ai mangé ici,
J’ai dormi ici,
Vous m’avez nourri,
Vous ne pouvez plus me renier.

Que feriez-vous, d’ailleurs, de mes croquettes ?
 

Je suis le chat du logis,
Créé par les désirs des habitant/e/s du lieu.

Tue-t-on les fruits de ses désirs ?

Vous ne pouvez me chasser
Car vous m’avez créé

Je suis d’ici, j’y resterai, je ne partirai pas.

Je suis le chat du logis,
Héritier d’exu,
A qui je dois les tâches noires de mon pelage.
L’ouvreur de chemins
A qui vous devez tou/te/s le respect, en premier dans la cérémonie,
Sous peine d’encourir sa fureur.




Si vous me reniez,
Vous renierez aussi
Toutes ces divinités.
Elles déserteront
Votre imaginaire
Et vous serez condamné/e/s
A la stérilité
Vous ne produirez
Que des écrits standardisés,
Aseptisés,
Sans odeurs, ni couleurs, ni saveurs.

Je suis le chat du logis,
Et ne peux vous laisser faire cela.

Que chacun/e reconnaisse plutôt ses fautes, les répare,
Et lâchez dehors toutes ces pierres
Elles serviront aux champs,
Où elles agrémenteront ma sœur, la terre. »


Mais l’apothicaire persévère, et pointe de plus belle, avec force gestes et coffre de voix, l’animal.

Qui réplique :

« Quant à toi, l’apothicaire,
Ote ton doigt de devant ma face,
Avant que tu ne trépasses

Ote ton doigt de devant ma face
Je suis le chat du logis
Chassant pour toi les proies
Et t’apportant les ingrédients issus d’elles
Nécessaires pour tes potions.




Sans moi,
Tu deviendrais un vulgaire pharmacien.
Est-ce là ce que tu veux, stupide être humain ?



Un apothicaire sans son félin
Sache-le
Est comme la sorcière sans son chat noir et son chaudron. »

D’ailleurs, un apothicaire, qu’est-ce d’autre qu’une sorcière qui a réussi ?

Ainsi se poursuit
Le dialogue belliqueux,
Entre l’animal boueux
Et l’humain auquel elle rapportait ses cadeaux les plus précieux,
En échange du titre
De chat du logis.



Quelle sera l’issue,
De cette tragédie ?

L’animal ajoute :
« Avant de rompre l’alliance
Séculaire
Entre les félins et les humains
Considère
Cher apothicaire
L’historique de nos relations.




Mes illustres ancêtres
De la famille féline
Ont été de longue date
Tes commensaux
Mais jamais tes vassaux.

Nous avons gardé pour toi
Tes silos à blé
Et avons pour cela
Eté vénérés
Dès l’égypte antique.

Nous avons chassé
En échange du feu de ton foyer
Les rongeurs de tes granges.

Souviens-toi,



Cher apothicaire,
De cette époque
Celle de la chasse aux sorcières
Où mes semblables
Furent cloués vifs aux portes
Chassés des foyers
Comme animaux du diable.

Ce que nous sommes d’ailleurs
Comme héritiers d’exu.



Souviens-toi,
Cher apothicaire,
De cette époque,
Celle de la chasse aux sorcières
Où les rats, et la peste qu’ils portaient
Proliférèrent.

Nous chassions pour toi les rats
Et te garantissions de la peste.
Tu nous as chassés de chez toi
Et as récolté la peste.

Souviens-toi,
Cher apothicaire,
Que ton commensal
N’est pas un simple parasite

Et lorsque je dis
« Je suis le chat du foyer »,
Je ne dis pas autre chose
Que
« Je suis son protecteur ».

Alors
Cher apothicaire,
Que choisiras-tu ?
Que choisirez-vous ?

Romprez-vous encore une fois l’alliance
Historique
Des humains et des félins ?
Ou bien
Sera-t-elle ici et maintenant
Renouvelée par tes soins ?

Allez-vous lâcher ces pierres dans les champs,
Ou me les jeter à la face sur tes ordres, qui sont en réalité les ordres de chacun/e ? »

Lecteur, lectrice, la question t’es posée, je crois, à toi individuellement et personnellement.

1 commentaire:

  1. Sans hésiter je renouvelle l'alliance avec les félins, cette chère panthère des neiges ! (trop belle d'ailleurs !) ;)

    Clémence

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