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lundi 16 septembre 2013

Avé C : récit de la journée du 14 septembre 2013.



Le refrain. Principe.
« Tu notes tout ce qui arrive, dit-elle.
-Tout ce que je note arrive », fut la réponse.
C’était à nouveau cette voix grave, sourde, qu’elle avait perçue comme un écho de sa propre voix.
L’étrange, c’est que le vieillard de la montagne errante n’avait pas ouvert la bouche. Il avait transcrit ce qu’elle avait dit puis ses propres paroles, et elle les avait entendues, exactement comme si elle se souvenait qu’il venait de parler.
« Toi et moi, demanda-t-elle, et tout le pays fantastique – tout est consigné dans ce livre ? »
Il écrivit et en même temps elle perçut sa réponse :
« Ce n’est pas ça. Ce livre est le pays fantastique tout entier, y compris toi et moi.
-         Et où est ce livre ?
-         Dans le livre, fut la réponse qu’il nota.
-         S’agit-il seulement d’une image et de son reflet ? » demanda-t-elle.
Il écrivit, et elle l’entendit dire :
« Quelle image offre un miroir qui se reflète dans un autre miroir ? Le sais-tu, souveraine des désirs aux yeux d’or ? »
La petite impératrice resta silencieuse un moment pendant lequel le vieillard écrivit qu’elle se taisait.
Puis elle dit doucement : « j’ai besoin de ton aide.
-         Je sais, fut la réponse qu’il inscrivit.
-         Oui, déclara-t-elle, il le faut. Tu es la mémoire du pays fantastique et tu connais tout ce qui s’est passé jusqu’à cet instant. Ne pourrais-tu pas feuilleter ton livre et voir ce qui va arriver ?
-         Des pages blanches ! Fut la réponse. Je ne peux que regarder en arrière, voir ce qui est arrivé. Je pouvais le lire tandis que je l’écrivais. Et je le sais parce que je l’ai lu. Et je l’ai écrit parce que c’est arrivé. Ainsi l’histoire sans fin s’écrit-elle d’elle-même par ma main. » »



Dénoncer : verbe transitif, du latin « denunciare », de « nunciare » « annoncer, faire savoir ». Signaler comme coupable à la Justice, à l’autorité ou à l’opinion publique.


La voix off – Cher lecteur, chère lectrice, bonjour.
Ce jour, nous sommes chez « moi », qui reçoit un sms sur son portable.

Moi – Je reçois un sms, vendredi 13 septembre dernier, vers 18h. Le sms m’informe que « maman est à l’hôpital depuis lundi, mais c’est pas pour quelque chose de grave ».

Puis un second mot m’ajoute, deux heures plus tard je crois, que le « quelque chose de pas grave », c’est un AVC (accident vasculaire cérébral).

La voix off – « Moi » a une sœur, une petite sœur, et ces sms lui viennent d’elle.

Moi – Tu oublies de préciser quelque chose pour planter le décor…

La voix off – Ah oui, c’est vrai : « toute ressemblance avec des faits réels ou ayant existé serait purement fortuite ».

Moi – Purement fortuite.

L’expert psychiatre – En effet, puisque l’auteure de ces lignes délire, tout ce qu’elle dit ne saurait être que le pur produit de son imagination.

Moi – Merci de votre expertise sur le sujet, vraiment…

L’expert psychiatre – On est dans le monde éthéré des faux souvenirs.

Le père – Je dirais même plus, des fantasmes.

La mère – « Moi » vit son complexe d’Œdipe et ne s’en est jamais dépêtrée, il faut l’excuser…

Moi – Et elle, elle vit dans le monde des problèmes de santé, et ne s’en est jamais dépêtrée, il faut l’excuser…
Quant à lui, il est l’auteur des « complexes d’Œdipe réalisés ». Il paraît que c’est moi qui lui demandait, et comme il est gentil, il a répondu à mes demandes. C’est un bon père, ça, non ?

La voix off – Mais au loin, à pas feutrés, la démarche chaloupée, une ombre point.
Celle d’un félin.

La panthère des neiges, hérissant le poil : « Mensonges et cécité
Voilà ici, votre stupide humanité
Je préfère à ce stade,
Quant à moi,
L’animalité ! »

La voix off – La panthère des neiges : 200 et quelques kilos de muscles prêts à bondir, des réflexes d’une rapidité redoutable (et redoutée), surarmée (griffes, crocs, et si elle faisait partie de l’empire, on y ajouterait volontiers tonfa, taser et flashball, sans compter le sig bien sûr, mais comme dans les règles de sa vallée, les armes sont réservées aux civils et interdites aux dépositaires de l’autorité publique, elle n’a que ses armes naturelles). Un pois chiche en guise de cerveau (du moins, c’est ainsi que la décrivent les ouvrages savants à son sujet), elle ne sait ni lire ni écrire, ni, bien sûr, comme c’est un animal, parler.
D’ailleurs, si ses dires sont entre guillemets, c’est parce que je suis obligée de tout traduire en langage. Les animaux n’ont pas de langage, il faut donc traduire, pour une bonne compréhension par mes lecteurs.trices, tou.te.s humains, leur gestuelle, leurs inflexions non verbales, leurs allures et variations infinitésimales d’occupation de l’espace. Et vous les traduire en mots, en plus ! C’est dire le boulot que je me tape pour chaque réplique.

Moi – Hormis moi, personne ne voit la panthère, aujourd’hui.

L’expert psychiatre – Tiens ? C’est nouveau ça ? Vous auriez un délire à caractère hallucinatoire ? Je n’avais point noté ce détail.

Moi (ton insolent) – Faut dire que vous avez procédé tellement vite, pour votre examen, que vous n’avez pas pu tout voir…

L’expert psychiatre, d’un coup furieux – Insinueriez-vous que j’ai mal fait mon travail ?!?

La voix off – Sauf que là j’interviens, parce que ce monsieur nous éloigne du récit du soir, et donc, sa question, il attendra un peu pour, éventuellement, y avoir une réponse.

L’expert psychiatre – Je reconnais bien là votre côté méprisant et orgueilleux !

La voix off – L’expert psychiatre rentre dans son bureau et va travailler un peu ses dossiers. Il a l’air très sérieux et affairé, d’un coup : cela vous va, comme description, Môssieur l’expert ?
N’oubliez point qu’ici, c’est moi qui narre. Partant, moi qui décide d’où vous êtes, de ce que vous faites, et de quel personnage je crée devant l’item « expert psychiatre ». OK ?

L’expert psychiatre ainsi rangé dans son bureau (bien fermé), revenons à nos moutons.

La panthère des neiges : « A nos moutons ? A notre panthère !

Je disais donc, en réponse à ce pitoyable ensemble de répliques :

Mensonges et cécité
Voilà ici, votre stupide humanité
Je préfère à ce stade,
Quant à moi,
L’animalité ! »

Moi – Le vrai nom de toutes les choses décrites ci-dessus, juridiquement, c’est « agressions sexuelles par personne ayant autorité », et non « réalisation d’un complexe d’Œdipe ». Mais faut pas le dire.

A minuit, par là, voire une heure ou deux heures du mat’, je réponds au second sms : « y’a un truc qui cloche. Si c’est un AVC, c’est forcément, plus, ou moins, grave. Mais un AVC, c’est toujours grave. Alors soit elle t’a mal expliqué ce qu’elle a, soit elle se rend pas compte que c’est grave ».

La voix off – La sœur, qui n’est pas venue pour le procès de « moi », et ne lui en a même pas demandé de nouvelles (il était la veille, le jeudi 12 septembre), rappelle immédiatement, en larmes.

Moi – Bon faut dire que c’est la première fois que ça lui arrive, quelqu’un d’important pour elle, qui pourrait clamser sans avertir.
On a décidé d’aller la voir ensemble à l’hosto le lendemain, samedi. Et elle, elle a illico été prendre des billets de TGV Paris-Lyon pour cela.

Pour mon procès, par contre, pas même l’ombre d’un billet prem’s réservé, faut pas non plus déconner.

La sœur – Tu me saoûles avec tes procès ! J’en peux plus de tes histoires ! Maman elle a fait un AVC, faut y aller !

Moi – Oh c’est bon, elle va pas mourir dans le quart d’heure. Je sais à peu près ce que c’est, un AVC. Si elle avait du clamser, c’aurait été lundi OK ?

La voix off – Bien sûr, seul le procès est un clin d’œil au réel, dans cette histoire. Tout le reste, c’est le pur produit de mon imagination narrative.
100% pur imagina’tif, j’vous l’dis.

La sœur – Y’a intérêt.

La mère – Y’a intérêt.

Le père – Y’a intérêt.

L’expert psychiatre, sortant momentanément de son bureau – Je vous confirme cela : 100% imagina’tif, ou, dit autrement et plus prosaïquement, 100% pur délire.

La voix off – « Moi » retrouve sa sœur à l’arrêt du bus pour aller à l’hôpital Lyon sud, celui où se trouve le bureau où l’expert psychiatre est en train de travailler très sérieusement et méticuleusement en ce moment même.

La sœur, par sms, depuis le train partant de Paris – « t’aurais pas un pansement s’il te plait ? J’ai un doigt qui picote, je me l’étais coupé, et je crois qu’il faudrait couvrir la plaie »

Moi – J’apporte des pansements.

La sœur, à la gare, montrant son doigt – tiens, tu vois, c’est gonflé, j’me suis fait ça en nettoyant une boîte de conserve que je voulais réutiliser : ça m’a coupé.

Moi – Ca date de quand ?

La sœur – Je me suis fait ça il y a deux jours.

Moi – Et t’as mis quoi dessus comme désinfectant ?

La sœur – Rien.

Moi – RIEN ?!?
Bon, on passe à une pharmacie sur le chemin de l’hosto.

La sœur – Maisheu…j’ai du désinfectant à la maison (à Paris, où je retourne ce soir), ça peut attendre. Juste, tu crois qu’il faudrait que j’aille voir un médecin ?

Moi – T’as quoi comme désinfectant ?

La sœur – De la biseptine, en spray.

Moi – Ouais. Ouverte depuis quand ?

La sœur – Ben euh, depuis quelques temps.

Moi (pensant à notre oncle mort d’une infection à un orteil du pied parce qu’il a négligé les soins nécessaires) – Faut au moins de la neuve. Quand ce truc-là (la biseptine) est ouvert depuis plus d’une semaine, il est beaucoup moins efficace. En plus, on pourra montrer au pharmacien ton doigt, il nous dira ce qu’il faut faire.

La voix off – La sœur se rend à cette idée, non sans avoir protesté que « elle en a marre en ce moment elle dépense plein de sous tout le temps dans les pharmacies ».

Moi – Bah en même temps, si elle l’avait désinfectée tout de suite, la plaie, sa biseptine ouverte depuis des mois, ça aurait suffi.

La sœur – Maisheu, je me coupe tout le temps et je désinfecte jamais. D’habitude, ça s’infecte jamais.

Moi – Ouais sauf que là, c’est gonflé et ça pique, donc c’est infecté…

La voix off – A bellecour, une pharmacie est visible pas loin de l’arrêt du bus.

La sœur – Eh ! Le bus est là ! Viens !

Moi, au chauffeur – Vous partez quand ?

Le chauffeur – Dans deux minutes, à peine.

Moi – Bon. Il est quand le bus suivant ?

Le chauffeur – Dans un quart d’heure vingt minutes.

Moi (pensant, dans ma tête « quand on va revenir, les pharmacies seront fermées, et demain, c’est dimanche ») – Pile le temps d’aller à la pharmacie tranquille. Viens.

La sœur, montant dans le bus – NON ! On n’a pas le temps ! Le bus va partir ! Maman a un AVC il faut y aller maintenant !

Moi – Elle sera pareil dans un quart d’heure, et toi tu as un doigt infecté…

La voix off – Mais la sœur n’en démord pas, et le bus part, avec elle assise dedans.

Moi – Je vais donc décrire au pharmacien le topo, et il me file les produits nécessaires pour ce cas de figure. Un peu plus que de la biseptine, quand même…

La voix off – Le pharmacien explique que sur une plaie vieille de deux jours, la biseptine ne désinfecte que le dehors, mais la plaie s’étant probablement refermée, ça ne perturbera nullement l’infection elle-même, d’où nécessité d’un autre produit en sus, et de l’appliquer 3 fois par jour pendant plusieurs jours.

La sœur – Mouais encore plein de thunes craquées dans une pharmacie…

Moi – Tu veux mourir comme notre oncle d’un doigt infecté ?

Le père, jadis – J’ai pas d’argent ! J’AI PAS D’ARGENT POUR TOI ! TAIS TOI ! TAIS TOI, SINON J’TE METS SUR L’CARREAU !

Moi – Putain, quel constipé d’la thune ce type…

La voix off – Mais ici, dans l’histoire, on va lui baisser un peu le volume, car il nous casse vraiment les oreilles, avec sa violence verbale.
Ce qui donne :

Le père, remasterisé par la voix off, chuchote timidement, l’air confus et désolé – euh, j’ai pas d’argent, enfin je crois que j’ai pas d’argent. En fait, euh, j’avoue, j’ai pas envie de te filer l’argent dont tu as besoin.
En fait, j’avoue, je suis tel le dragon Fafnir gisant égoïstement sur le trésor, et je crache des flammes de mots chaque fois qu’on s’en approche pour m’en prendre un bout. Bref, je suis parmi les phénomènes les plus vils au monde : un radin.
Comme le grand capital que je dénonce, quoi, mais avec un capital plus ridicule que je veux pas lâcher. Une miniature de ce que je dénonce, quoi…

La panthère des neiges, agacée : « Une miniature, le concept est intéressant. Il mériterait d’être développé… »

Moi – Donc j’arrive à l’hôpital par le bus suivant, un quart d’heure plus tard.

La voix off – L’hôpital est immense. Il est aujourd’hui un ensemble de pavillons dont les rez-de-chaussée sont déserts.

Moi – Le chauffeur du bus m’a dit qu’il fallait descendre, puis que c’était à 50 m à droite, le pavillon neurologie.
Sauf que là, je suis devant le pavillon hématologie, en ayant suivi ses instructions…c’est pas exactement pareil, comme truc.
Youhou ?! Bonjour Monsieur, je cherche le pavillon neurologie, pour les AVC, tout ça tout ça.
Le type – Ben…j’en sais rien moi.

Moi – Ou bien un accueil ?

Le type – Ben on est samedi, je crois pas qu’y’en ait.

Moi – Merci.
Putain, j’suis bien barrée dans l’hôpital moderne du 21e siècle en France. Sûr, un accueil le samedi, ça coûte cher en personnel « on n’a pas d’argent pour ça » (trou d’la sécu gniagnignia crise de 2008 patatipatata coupes budgétaires tralalitralalère)…Démerdez-vous pour trouver le pavillon.
Dans mon administration aussi, tiens, on accueille plus le public, pour des raisons de rationalisation (accueillir, ça coûte cher en sous pour payer des gens pour accueillir ?).

La voix off – Après un quart d’heure d’errance dans les bâtiments alentours, « moi » tombe, hasard qui fait que le monde est petit, sur sa sœur, qui descend d’un escalier.

Moi – Ah ! Tiens ? T’es là toi ?

La sœur – Ouais, j’ai toujours pas trouvé où c’est j’y comprends rien.

La voix off – La sœur a les infos (tel bâtiment, tel ascenceur, avec les numéros et lettres ad hoc), et un plan est juste à côté au mur.

Moi – Et moi je sais lire les plans muraux…tu vois ça t’as avancé à quoi de partir plus tôt en négligeant ton doigt ?

La sœur – Eh ça sert à quoi que j’aie pris le TGV le plus rapide en me speedant alors ?

Moi - Tiens, c’est par là qu’il faut qu’on aille, si c’est cet ascenseur.

La voix off – C’est ainsi qu’elles arrivent au bon endroit.

La porte de la chambre n°16 s’ouvre.

Moi – On précise quand même qu’au 3e étage, il y avait plusieurs chambres n°16, et que c’est parce que dans ce désert, on a trouvé une infirmière qui, par hasard, avait notre mère parmi ses patient.e.s, qu’on s’en est sorties. Nan parce qu’un accueil pour orienter les gens, im-po-ssible.

L’expert psychiatre, faisant un tour dans le couloir – Mais qu’avez-vous contre mon hôpital ? Il est très bien mon hôpital.



Moi – Ah oui, c’est vrai qu’il est quelques bâtiments plus loin, celui-là. Service des urgences psychiatriques, accueil des victimes de violences intrafamiliales avec Liliane Daligand et la smala…et moi ça fait depuis 2006 que j’ai pas revu ma mère parce qu’à chaque fois, il y a « lui », « le père », qui vient dans les parages. Mais que font les pros de l’hôpital ?

L’expert psychiatre, agacé – Encore faudrait-il nous avoir contactés…

Le père – Eh bien, je suis ton père, et son ex-mari, ou est le problème ?

Moi – La porte de la chambre n°16 s’ouvre sur une petite personne, une petite vieille que je reconnais mal, parce qu’elle a beaucoup vieilli d’aspect, depuis 2006, en vérité.

On s’installe dans la chambre, ma sœur et moi, et on discute avec elle.
On apprend que son AVC n’a été détecté qu’avant hier, et qu’en fait, elle l’a eu dimanche dernier, et que l’hôpital situé près de son bled l’avait alors renvoyée chez elle sans faire ni scanner ni IRM.
Du coup comme les fourmillements du bras continuaient, elle est venue ici lundi, et là ils ont fait les exams.
Heureusement que c’était un petit AVC, hein…qui lui a fait que des fourmillements.

Ici, c’est bien, c’est l’hôpital usine : y’a tout comme appareils.
Disons, tout y a été concentré.
Il y a quelques temps en arrière, il y avait plus d’hôpitaux, plus de lits un peu partout, moins d’usines concentrées.
Moins de cette manie de ne faire « que les examens strictement nécessaires ».
Un AVC qui fait juste des fourmillements dans le bras, sans plus, et un pic à 22 de tension, on croirait pas que c’est un AVC, quand on est dans le petit résidu d’hosto local ? Y’a plus que dans l’usine près de la grande ville, qu’on sait faire les exams et se méfier ?

On reste une heure et demie à discuter, jusqu’à 19h30 environ.

La voix off – Vers 19h00, ça toque à la porte : un infirmier apporte le repas, qui présente pas mal franchement, pour un repas d’hôpital.

Moi – Un peu après, ça re-toque à la porte : c’est l’infirmière, qui apporte les cachets.

La voix off – Vers 19h30, ça re-toque à la porte.

Moi – Mais beaucoup plus feutré que les deux précédents, ce qui tout de suite, me fait penser : « nan ? C’est lui ? ».
Pourtant, je l’ai jamais connu pour ses manières feutrées…

Entre.

La voix off – Il entre.

Moi, agacée – Tiens.

La voix off – « moi » lui tend la chaise, et la pose à l’emplacement ad hoc : de l’autre côté du lit.

Moi – Faut pas non plus déconner, elle était juste à côté de moi ! Peuark !

La sœur – Mais comment tu parles de papa ?

La mère – Ca ne sera donc jamais fini, votre guerre ?

Le père, s’asseyant sans commentaires, déjà étonné que je lui tende une chaise – Tiens ? Vous êtes là toutes les deux ?!

La voix off – Au propos, s’ajoute le sourire inimitable du prédateur familial content de retrouver ses proies, à sa merci, et de pouvoir de nouveau régner sur tout ce monde.

Moi – Eh oui.

La sœur, assise sur le lit, constate, gênée – Eh ? mais je suis au milieu !

La voix off – Elle se retourne, de manière à ne plus être dos au père, préférant manifestement, tout de même, être dos à sa sœur, moins dangereuse : certes, c’est un bon père, il ne faut pas faire de vagues, on peut refaire une vraie famille ce soir, mais, tout de même…pas lui tourner le dos.

Le père, large sourire vicieux aux lèvres, sort des trucs en tissu blanc de son sac – Tiens, j’ai repassé tes culottes.

La voix off – cependant que « moi » observe la scène, il va, ostensiblement, mettre les culottes dans le placard.

Le père - … et tes sous-tifs.

Racamier – Mais ? On se croirait dans mon bouquin, là !



Moi – T’as bien vu ce que j’ai vu : il étale les culottes et sous tifs de leur mère devant leurs filles à tous deux ! Et avec son sourire vicieux aux lèvres encore.

La sœur – Mais où est le problème ? C’est nos parents, il faut les respecter et les aimer.

Moi – Où est le problème (soupir) ?

La sœur – Franchement, tu saoules à voir des problèmes partout.

La voix off – Le père prend son portable écran tactile et se lance ensuite dans un calcul d’IMC.

Le père – Tu mesures combien ?

La sœur – Telle taille.

Le père – Tu pèses combien ?

La sœur – Tel poids.

Moi – Il faut que tu saches, lecteur, lectrice, que le premier commentaire qu’il avait fait sur moi à ma mère, quand il m’a revue en manif, après mon retour à Lyon, ça a été « elle s’est empâtée ».
Ce type, il ne sait même pas dire si j’ai eu un bac littéraire ou scientifique, mais par contre, en ne m’ayant pas vue depuis des années, il se souvient instantanément de ma silhouette de l’époque ! Et ma sœur, là, elle se laisse faire l’IMC tranquille par ce gusse-là…
Tout va bien, tout est normal.

Le père – Oh, je n’essaie pas de te le faire à toi…tu es tellement asociale avec moi.

La panthère des neiges, feulant : « Reste où tu es, sinon, c’est à moi que tu auras affaire ».

Le père – Tellement asociale avec moi…

La voix off – La discussion, à partir de l’IMC, se met à tourner entre eux trois, sur un thème devenu central dans cette famille, fédérateur : la santé.

Moi – J’observe chacun.e y aller de son petit problème de santé, ou grand problème de santé. Et que moi je me suis rendu compte que j’avais le diabète quand j’ai eu ça, et que moi ça a été tel symptôme qui m’a fait me rendre compte que, et etc.

Je précise que la santé, c’est pas que à l’hosto un lendemain de petit AVC, que ça fédère comme ça tout ce beau monde. C’est tout le temps.
Moi exemple, quand maman m’appelle au boulot (parce que c’est le seul numéro qu’elle a pu avoir sans me le demander), c’est pour s’étendre sur ses problèmes de santé, qu’elle me narre par le menu. Et uniquement sur ça.

La voix off – Ou presque…

Moi – Oui. Quand c’est pas ça, ça laisse place à une phrase qui commence par « ton père… ».

Mais là à l’hôpital, je sors un sac plastique marqué « Saint Pierre tissus ». Dans le sac, un objet. Cela trouble légèrement leur conversation consensuelle sur la santé, cette santé que chacun d’eux a si défaillante (je vous passe la liste des soucis. Moi à côté, ça va…je participe tout de même un peu, grâce à un problème de dos récemment détecté et qui me vaut plein d’heures de kiné, que je prolongerais volontiers car la kiné c’est un bon moment – bref les problèmes de santé ça peut apporter plein de bénéfices, plus ou moins secondaires, que môssieur l’expert psychiatre se ferait une joie de nous détailler s’il n’était, très concentré et méticuleux, en train de rédiger un rapport dans son bureau, en cet instant…).

J’observe le couple tout vieillot maintenant, le couple divorcé en 1997, mais qui continue à faire couple. Y compris dans l’aspect : les cheveux blancs et la mine pâle, en commun. Les vêtements pas très beaux, en commun. L’aspect pâlot y compris des vêtements, en commun.
Ils sont tellement assortis. L’un ne va pas sans l’autre. L’un ne va plus sans l’autre. Seuls au monde l’un avec l’autre.

D’ailleurs, cependant qu’il rangeait les fameuses culottes, « maman » m’expliquait : « oui, en fait il vient tous les soirs, pour me passer le peigne ».

Maman a des poux virtuels. Elle les a depuis dix ans maintenant : depuis le décès de sa mère, en fait. Je lui fais : « en fait, il te cherche les poux ça vous permet de vous voir… ».
Je me souviens aussi de la mère du père, scandalisée qu’il repasse ses propres affaires : aujourd’hui, il repasse même celles de son ex-épouse…repasser des culottes, franchement, quel intérêt ? Des T shirts, à la rigueur, mais des culottes ?

Les poux virtuels occasionnent toute une série de rituels, dont est issue l’odeur de vinaigre qui vous prend lorsque vous entrez, ce jour-là, dans la chambre n°16 de l’hôpital.
Désolée, j’en dis trop. C’est triste, pathétique, et je n’y peux rien. Les gens vivent comme ils peuvent…

L’expert psychiatre – Mais tout ceci est juste le fruit de votre délire, je vous rassure.

Moi – Merci.
Je peux donc continuer à raconter, sans souci, puisque c’est juste du délire.
Ouf.

La vue du sac plastique avec l’objet dedans rompt leur conversation autour de la santé : la curiosité de chacun/e oriente son regard vers moi, et le sac. D’où je sors la boîte.

La panthère des neiges, faisant et refaisant le tour de la boîte, d’un pas félin un peu dansant : « La boîte à musique »

Moi – oui mon chat, la boîte à musique.

Je remonte la clef de la vieille boîte en bois, et puis l’ouvre.
On voit, mais elle, la mère, ne voit plus et me demande, donc : la glace. Oui maman, il y a toujours le miroir, la glace, dans la boîte à musique. Et puis, mais elle ne me demande pas, le velours rouge qui recouvre tout l’intérieur.
Il y avait aussi une danseuse, avant, il y a longtemps, qui tournait en même temps que la musique. Elle était sur une sorte de vitre qui masquait le mécanisme. Elle, a disparu depuis bien longtemps déjà, ainsi que la jolie vitre dissimulant la mécanique.

Pourquoi c’est cette musique-là ? Où avez-vous acheté la boîte ? Quand ? Qui ? Pourquoi ?

La voix off – La boîte à musique fait remonter loin dans le temps, ôtant un peu l’oppression, quasi-physique, qu’il y a à être dans la même pièce, de manière prolongée, que son agresseur.

Moi – L’oppression physique, c’est à la vue de son ventre, habillé, qui me rappelle son ventre, non habillé, et tout ce qu’il y a en dessous, et dans lequel il faudrait foutre des coups de pieds pour que ça disparaisse. Sauf que même des coups de pieds ne changeraient rien à cette horreur. Alors observant et le gusse, et ma sensation d’oppression physique, je me demande : « et le jour où il sera un cadavre, est-ce que ça continuera à me faire cet effet, ces parties de son corps ? ».
J’ai l’impression que oui. En fait, il faudrait qu’elles n’aient jamais existé. Qu’elles n’aient jamais servi à me démolir, quand j’étais gamine. Mais maintenant c’est trop tard : le mal est fait, et trente ans après, j’en ressens, ici et maintenant, encore la trace.
Penser à mes connaissances de self defense ne change qu’à peine les choses. Mimer des coups de pieds pour me dégourdir les jambes est un peu mieux. Bien sûr les coups de pieds, je visualise où je les mets, dans ma tête…

Le père – C’était quand on était à Caluire.

La mère – Peut-être. Ou à Villeurbanne.

La sœur, surprise – Vous avez  habité à Villeurbanne ?

Moi – Oui.

Les parents – Tu te souviens de Villeurbanne ?

La voix off – Les parents, surtout la mère, décrivent le studio d’étudiants, le bébé par chance calme qui ne pleure pas la nuit, le berceau qui lui fait office de « chambre » car il n’y a pas de chambres vu que c’est un studio.

La mère – Mais c’était petit…on est allés à Caluire.

Le père – Tu te souviens de Caluire ?

Moi – Très peu.
(Défilent dans ma tête : le père en train de souder les arcs métalliques du cheval à bascule que j’ai à l’époque, une pièce avec des jouets en désordre, peut-être un balcon…eux me disent qu’il y avait un jardin et plein d’autres choses, mais cela, non, ça n’est pas dans mes souvenirs à moi).

Moi dans mes souvenirs, cette boîte à musique, elle datait de Saint Jean.

La voix off – Les parents quittent Caluire quand « moi » a trois ans. Ils vont habiter dans un grand appartement, à Saint Jean, situé juste derrière le palais de justice.

Moi – Ouais. On passait souvent derrière, là où il y a les grilles vert sombre, dont celle marquée « geôle », qui fait vachement peur.


La voix off – Les parents continuent le récit de leurs souvenirs de ces époques, l’air contents de se remémorer.

La sœur – Eh mais en fait vous étiez des vrais babos à cette époque ?

Moi – Oui, à cette époque, c’étaient des babos, tu n’as pas vu parce que quand toi tu es née, c’est là qu’ils ont commencé à prendre racine…

La voix off – Le sourire vicieux a cédé la place à un sourire content d’être qualifié de babos, et la mère aussi, a l’air contente au souvenir de cette époque.

Moi, refermant la boîte ce qui coupe la musique – (d’un ton mi-triste, mi désolé) elle est jolie, cette musique, mais la boîte est quand même pas mal désossée…y’a plus la jolie danseuse, ni rien, il reste plus que le mécanisme.

La panthère des neiges, tournant autour de la boîte telle un chat soyeux : « c’est ma boîte, même s’il y manque des choses. Et personne n’y touche car je veille sur elle et ses trésors »

La sœur – Tu l’ouvrais souvent, je me souviens de la musique.

La panthère des neiges : « je suis dans la boîte et je sors avec la musique, je reviens la voir le soir quand vous croyez que tous les chats sont morts »

La sœur (à part) – elle est triste, cette musique.

Moi (à part) – Triste comme les fantômes de babos. Triste comme ce qui reste.

La panthère des neiges, ondoyant toujours autour de la boîte, telle un félin soyeux : « c’est ma boîte, même s’il y manque des choses. »

Puis, gonflant le poil et montrant les crocs, en garde devant la boîte : « JE VEILLE SUR LA NEIGE ».

Moi – Viens mon chat, je range la boîte. Ils ne te voient pas.

(A eux) C’est quoi la musique ? Vous savez ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ?

La mère – Oh ben c’était la même musique dans toutes les boîtes à musique

La voix off – Mais entendant cela, « moi » visualise très bien la foule de petits mécanismes, sur l’étal à Saint-Jean, jadis, qui chacun jouaient des musiques différentes quand on tournait leur manivelle. Le mécanisme de la boîte est similaire. Alors il devait aussi y avoir le choix des musiques…pourquoi celle-là et pas une autre ?

Le père – C’est la musique du Parrain, je crois.

Moi – Mais le Parrain c’est vachement plus récent, comme film, que cette boîte ?

La sœur – C’est un air de musique qui s’appelle (…)

Moi – Avant le Parrain, c’était quoi, cette musique ?

La sœur – Je viens de le dire, c’était (…)

La voix off – Je ne peux retranscrire, car « moi » a scotomisé le nom dit par sa sœur. Oublié, occulté immédiatement, tout simplement.

La panthère des neiges : « Viens Pataud, suivons la trace laissée par la musique : c’est certainement la bonne »

Pataud, le chien : « J’arrive. Je pense que tu as raison »

La voix off – Pendant que les fictions s’occupent du réel, le réel continue à se dérouler, en ce samedi 14 septembre, à l’hôpital.
La boîte fermée et rangée, la conversation continue.

Le père – Ah mais tu sais, le parrain, c’est vieux : ça date de 1973.

La panthère des neiges : « Donc c’est possible que la musique soit celle-là au départ, puisque cette boîte a été achetée après 1975. »

Moi, à la panthère : « Entre 1975 et 1981 : on est partis de Saint Jean en 1981. Mais je pense qu’elle vient de Saint Jean »

La voix off – Pataud est occupé à flairer, l’air de rien, les alentours.

Moi – Les 3, dans la chambre d’hôpital, sont repartis sur la santé et d’autres considérations voisines. La sensation d’oppression physique revient pour moi, s’accentue à mesure qu’on s’enfonce dans cette discussion.

La panthère des neiges : « Cela aussi est une forme de piste… »

Moi – Oui mais éprouvante. Je tiens mais t’es même pas là en renfort ! Comment ça se fait ?

La panthère des neiges : « Ce n’est pas sur mon territoire on dirait…il faudrait appeler la panthère noire de Bron, ou l’une de ses cousines »

Moi – Ouais ben en attendant, moi je peux compter sur personne en renforts…

La panthère des neiges : « Tiens. Ne lâche pas. Si tu pars, il gagne. »

Moi – Si je reste, il gagne aussi…tu sais bien qu’il a gagné depuis longtemps.

La panthère des neiges : « En apparence »


Moi – C’est vrai que son sourire vicieux, il a pu le garder que dix minutes…après le coup des culottes repassées et l’IMC de ma sœur, il est tombé un peu à sec et ça tourne en rond sur la santé, là.

La panthère des neiges : « Oui. Tandis que toi, tu as encore quelque chose dans ton sac »

Moi – Ah. Oui. En effet. Je les avais amenés pour les gens au procès, mais je les ai gardés sans les donner finalement.

La voix off – « Moi » prend la serviette dans son sac, et en sort des petits papiers, format « papier de pub pour marabout africain » qu’on met dans les boîtes aux lettres, et qui comportent, après un petit texte de présentation, l’adresse du présent blog.

Moi – C’est un format qui va aussi très bien pour glisser dans les livres de poche…

Le libraire de la librair’U, sursautant, vendredi 13 septembre au soir – D ??? Dans les livres de poche ?!? T…tu n’en as pas mis dans mes livres tout de même ?

Moi – Mais non, je ferais pas ça dans ta librairie, voyons…

Jorge Santiago, directeur du CREA, sursautant également – Format livre de poche ? Qu’est-ce qu’elle nous a encore fait ?

Moi – Le temps qu’ils trouvent les pauvres…

En plus, je peux en mettre partout dans la ville, comme ça. Donc même s’ils les trouvent à un endroit, et les enlèvent tous, bah ils sont pas sortis de l’auberge.

Jorge Santiago, s’arrachant les cheveux – Mais c’est pas possible ! Jamais elle va s’arrêter !

Moi – Votre doctorante allocataire de recherche session 2010 se porte bien ? Bon, eh bien moi aussi, si je puis dire…mais j’aurais mieux aimé pouvoir concourir et, contre elle, cela aurait été une joie de gagner, vu comme elle considérait sa « concurrence », alias moi.
Vous m’avez ôté cette possibilité, alors j’en ai exploré d’autres. Je suis désolée d’exister encore, mais c’est comme ça…

Jorge Santiago, remasterisé par la voix off – C’est une emmerdeuse !

Moi – Si vous voulez. Mais bon, le sujet du jour, ce n’est pas vous et votre rossignol mécanique mis sur le piédestal depuis 2010. C’est mon tour à l’hôpital, donc du balai.


La voix off – « moi » distribue les petits papiers aux gens présents dans la chambre, sauf à celle qui est malvoyante parce que c’est écrit beaucoup trop petit pour qu’elle puisse lire.

Moi – C’est écrit trop petit je suis désolée. Mais quelqu’un va lire…

La voix off – Le père commence à lire. Puis sa lecture s’étiole, interrompue par les interactions verbales de la mère et de la sœur.

Moi – Au bout d’une minute d’interruption, je reprends le papier, et lis à haute et forte voix, si bien que tout le monde m’écoute.

Le père, au bout d’un paragraphe évoquant Wittig et Proust – Mais j’y comprends rien !

Moi – je continue à lire, et quand j’arrive au paragraphe qui parle du père communiste qui hait les patrons, et qui se comporte comme ce qu’il hait, à la maison, il comprend très bien. Il se reconnaît et ça l’énerve.
Il se met, tout rouge, à brasser l’air avec ses bras, tout en protestant, mais je continue à lire à haute et forte voix la suite.

Dans ses protestations, il y a le rejet de mes mots trop intelligents et complexes, trop « intello stratosphériques ». Je n’en ai cure et le pilonne de plus belle avec.

Ton sourire vicieux, voilà comment il disparaît.
Voilà comment je le cartonne.

La voix off – Il n’aime pas du tout…

La sœur – Moi non plus je n’aime pas. Tu fais chier, tu gâches tout à remuer les choses comme ça. Ca m’intéresse pas moi. Regarde elle avait l’air contente qu’on soit là tous les 4 ce soir, et toi tu viens remuer la sauce.

La panthère des neiges : « NOUS venons remuer la sauce »


Moi – Je signale à ma sœur qu’il est 20h passées, et qu’on n’aura presque plus de bus si on attend trop. On se lève et on part.

La voix off – La sœur fait la bise à chacun : à la mère, et…au père.

Moi – Je lui fais la bise à elle, et lui n’essaie pas de me proposer d’en faire de même, ce qui m’évite de le lui refuser.
Puis ils tardent de nouveau, alors j’en profite pour mentionner qu’il faut que je m’occupe de mon éditrice.

Eux – Ton éditrice ?

Moi – Oui, mon éditrice. Faut que je termine de retravailler mon mémoire de master 1 pour qu’elle puisse l’éditer.



La mère – Tu vas le faire imprimer c’est ça ?

Moi – Non non, pas imprimer. Editer. Une maison d’édition scientifique.

La mère – D’accord donc tu le fais imprimer.

Moi – Non c’est pas une impression à la COREP, c’est une maison d’édition scientifique et bientôt tu le trouveras dans toutes les bonnes librairies.

La voix off – Cela aussi, les ébranle imperceptiblement.
Puis « moi » venant d’enfiler son pull, ceci suscite des remarques.

La mère – Mais tu as les cheveux frisés maintenant ? Et t’es habillée comment ?

Moi – Oui. Et je me suis même pas changée depuis mon procès.
(Regardant mon père) tu vois, j’ai un pantalon noir, et un pull rouge. C’est comme cela que j’étais ce jour-là.

Le père, d’un coup envieux face à mon courage d’y être allée ainsi – Et aussi le même sac à dos que moi…

Moi – Non, ça, c’est toi, qui as le même que moi.
Et aussi, on est sur l’ordinateur aux mêmes horaires : c’est le côté geek…

La voix off – Mais pas pour les mêmes errances, si je puis dire.

La soeur – Et ta veste c’est quoi comme cuir ?

Moi – Ah ? Boh…du cuir cher, pas du cuir bas de gamme, ça se voit non ? Moi aussi j’ai des goûts de luxe…

La voix off - Dehors, la sœur signale à « moi » qu’elle est restée et a supporté son remue-ménage, mais que c’était moins une, et de ne surtout pas lui reparler du « père » pendant des heures dans le bus, merci.

Moi – Ecoute ma vieille, moi aussi j’ai supporté pendant une heure, pendant une heure d’être dans le même espace que ce gusse, OK ? Donc chacune supporte, point.

Au fait, t’as pas oublié tes désinfectants ?

La voix off – La sœur a bien tout emporté.

Moi – Tu me dois des sous pour les désinfectants…

La sœur – Tu veux pas me les payer, faire un peu comme une infirmière ?

Moi – Non. C’est 11 euros, et je te laisse les centimes on va pas chipoter.

La sœur – T’es sûre tu veux pas me les payer ?

Moi – Non. Le père t’aurait demandé les centimes, en plus, lui…alors chipote pas.

La sœur – Ah non commence pas à dire des choses sur lui ça suffit !

Moi – C’est la vérité…(silence pensif, pendant lequel la sœur fait le chèque, et demande si c’est possible de l’encaisser en décembre parce que là, elle est à découvert… « moi » répond oui et prend le chèque, tout en pensant au billet de TGV et à l’autre billet, beaucoup plus cher, pour les vacances de la sœur, qui a mis cette dernière à découvert).
Et ton idée d’installation, c’en est où ?

La sœur – Quelle idée ?

Moi – Celle où l’idée, c’était de faire se rendre compte aux gens de quel effet ça fait d’avoir notre père au téléphone.

La sœur – Je ne l’ai jamais terminée.

Moi – L’idée, c’était bien de partir de ces textes de gens racontant des crimes atroces qu’ils avaient commis, mais sur un tel ton que ça les faisait passer pour normaux, c’est ça ?

La sœur – L’idée, oui, c’était de créer de l’empathie envers lui, avec ça.

Moi, à part – de l’empathie envers lui…et elle, et moi, quelle empathie a-t-il pour nous ? Qui s’occupe de créer, chez lui, de l’empathie pour nous ?

La panthère des neiges : « Personne. Il est, vis à vis de vous, comme moi vis à vis des bouquetins. Sauf que moi, c’est alimentaire, au moins »

Moi – Oui.

La voix off – Voici le récit, tout à fait délirant, d’un réel tout à fait délirant, permis par l’isolement dans lequel on laisse les victimes de ces choses-là. Ca ne finit jamais, parce que tant que tous sont vivants, la pourriture relationnelle continue pareille, avec les traces des actes sales du passé. Avec les traces de l’impunité. Avec les culottes repassées de maman exhibées aux filles un sourire vicieux aux lèvres.

Moi – J’ai porté plainte en 2002, le Parquet ne l’a même pas fait auditionner, lui, dans un commissariat de police.

La sœur – J’ai essayé d’aller porter plainte en 2004-2005, mais à l’accueil du commissariat, on m’a expliqué que les faits étaient bien trop vieux pour porter plainte.

Moi – C’est ainsi que l’on arrive, un 14 septembre 2013, à cette merveilleuse réunion de famille, comme si de rien n’était, ou presque, à l’occasion de l’AVC de maman.

Espérons qu’elle n’en refasse pas d’autre…

La voix off – Cependant qu’au loin, dans la neige, Pataud et la panthère des neiges sont occupés à se chamailler amicalement, je conclu après ces 16 pages (oui, on a dépassé le format habituel) :

***RIDEAU***


L’expert psychiatre, passant la tête à travers le rideau – Tout ça est complètement délirant, je vous le dis.

La voix off – J’ai dit RIDEAU ! C’est quoi cette indiscipline ?

L’expert psychiatre – Mais ? Je suis l’Expert, tout de même !

La voix off – Oui peut-être, mais si on était dans un tribunal, vous seriez en bas de la tribune, et moi en haut, voyez. C’est moi qui suis responsable de la police de l’histoire, comme le président de Chambre est responsable de celle de l’audience, compris ?

L’expert psychiatre – Je ne veux pas être un simple personnage de votre délire !

Moi – Je crois qu’ici, c’est ou ça, ou rien…l’être ou le néant, il faut choisir, Monsieur l’expert !
Puis la voix off raconte bien l’histoire, vous devriez accepter d’être un personnage, franchement…

L’expert psychiatre – Bon d’accord, mais je veux qu’on me considère comme quelqu’un de sensé.

Moi – Eh bien traitez autrui comme vous souhaitez être traité, et tout ira bien…

La voix off – Personnage accepté. Mais quand je dis « rideau », c’est « rideau », pour tout le monde, qu’il s’appelle Tartempion ou Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy – On m’a appelé ? Moi qui sommeillais tranquille avec mon réveil branché sur 2017…

Marine Le Pen – Ah non, 2017, c’est pour moi !

Moi – Ne vous battez pas trop les loustics…vous risqueriez de laisser la place à Mélenchon.

Nicolas Sarkozy – Euh…y’a p’t’être moyen de s’entendre…on peut faire un deal. Mélenchon, écoute Marine, c’est quand même le pire de tout.

Marine Le Pen – Tu rigoles ? Le pire, pour nous, c’est toi ! Tu nous as piqué toutes nos voix en 2007 !

Tartempion – Bon je vais mettre tout le monde d’accord, avant qu’il n’en arrive d’autres, parce que 2017 les loustics, aucun n’y est encore, et c’est pas le souci du jour, en plus :

***RIDEAU***

Nicolas Sarkozy, passant sa tête à travers le rideau – A vous qui avez voté pour Hollande, je vous l’avais dit, que la gauche, ils feraient juste la même chose que moi en moins bien.

La voix off – Qui a réveillé le plus indiscipliné et désobéissant des personnages de cette histoire ? Il dormait jusqu’à (au moins) 2017 !!! Il nous laissait tranquilles ! Eh bien non, un imbécile l’a réveillé.

Marine Le Pen – oui moi aussi ça m’allait mieux quand il pionçait…

François Fillon – Peuh, c’est compter sans nous.

Moi – C’est étrange, j’ai l’impression qu’il manque quelqu’un dans cet étalage subit d’hommes et femmes politiques…

Jean Jaurès – Oui, moi. J’ai disparu.

La voix off – Bon, eh bien tout le monde fait pareil que Jean Jaurès et disparaît illico et pour de bon derrière le rideau, cette fois-ci, car c’était vraiment pas vous les stars de cet épisode, mes cocos.
D’ailleurs, qu’y a-t-il dans vos programmes pour ce qui bouffe la vie à « moi » et plein d’autres depuis des années ? Rien. Des rouges aux bleus marine, rien. Pas faute de parler du sécuritaire, du sentiment d’insécurité, mais concrètement, le sentiment éprouvé dans une piaule d’hôpital où vous êtes venu voire votre mère, dans les circonstances racontées ci-dessus, rien. Nada. Nihil. Et ne parlons pas des rouge et noir, ni des verts. RIEN.
Donc je conclue pour ce soir :

***RIDEAU***



 


2 commentaires:

  1. Sophie, que dire? j'ai eu peur, j'ai ri (l'intervention de Racamier m'a plié en deux) j'ai été ému (jean jaures, notamment) j'ai admiré ta capacité à faire face. Ce que tu racontes est dur, mais tout passe, je sais pas comment tu fais. Merci pour ce partage

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  2. L'un des personnages de ce billet, ici prénommé "le père", est décédé le 11 juin 2014, d'une leucémie aigue, à l'hôpital, sans jamais avoir rencontré ses filles.
    Au médecin, il a dit qu'il était seul, ses filles habitant "dans une autre région" (alors qu'une des deux habitait juste à côté). Probablement parce qu'il devait faire avec son crime y compris là, au dernier moment : plutôt ne pas voir l'aînée, celle qui dénonce, que risquer d'avoir encore à affronter sa colère ?
    C'est une fin triste...

    Le personnage "le père" a toujours dit qu'il était pour la peine de mort pour "les violeurs d'enfants".
    De fait, il est mort le 11 juin 2014, et ce blog est né le 11 juin 2012 au soir.
    Le 11 juin 2012, c'était le jour où fut rendu le verdict pénal qui condamna la victime, la fille aînée, pour avoir parlé et dénoncé publiquement le crime commis.

    Ensuite, la fille aînée a eu les clefs de cet appartement où elle n'avait jamais mis les pieds...elle est entrée...elle a vu...la serviette de toilette si sale, dans la salle de bain. Le lit d'une crasse innommable. Le canapé un peu crado aussi, mais moins.
    Elle s'est souvenue des lieux du crime, jadis : le lit, la salle de bains. Le canapé un peu, aussi, mais moins.
    Elle a trouvé tout ça très triste : merde, c'était son père, là, quand même.

    Elle n'a pas versé de larmes, alors, parce que c'était trop triste, cette crasse précisément à ces endroits-là, comme une auto-punition ou une auto-reconnaissance du crime, implicite, et cette mort-là à cette date-là...elle en a juste encore beaucoup voulu à la justice de ne l'avoir pas jugé en 2002, quand elle a porté plainte.
    Parce qu'alors, en contemplant ce triste spectacle, elle a pensé : "il eut mieux valu qu'il soit jugé, plutôt qu'il se juge lui-même ainsi à son insu".

    Le père est mort sans qu'elle ait eu le temps de lui envoyer son billet sur les élections européennes. Il a juste reçu celui ci-dessus, qui écrivait l'histoire réelle qu'il venait de tracer, à l'hopital de Saint-Genis Laval, le 14 septembre 2013...

    N'en déplaise au personnage de l'expert psychiatre, l'histoire raconté dans le présent billet n'est malheureusement nullement du délire. Elle est réelle. Et elle rend le réel tout entier effrayant, terrorisant comme la vision de sa propre mort en face de soi.
    Pour moi, le réel, c'est cela, et ça a toujours été cela : cette terreur.

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